En écartant le florilège commercial des conseils de santé qui nous promettent jeunesse et forme physique, le Dr Jacques Rouillier propose un moyen simple et accessible à tous de préserver vitalité et santé. Depuis plusieurs années, il a expérimenté lui même le jeûne périodique, choisi, associé à un exercice physique doux. Les résultats sont convaincants. Au-delà de ce qui pourrait paraître une mode, l’abstinence alimentaire temporaire apporte de tels bénéfices qu’il est judicieux de s’y intéresser sérieusement.

Nous sommes nombreux à nous poser la question générale de « ce qui est bon pour la santé ».

Cette préoccupation est universelle, même si elle prend plus d’importance avec les années qui passent (et souvent les petits et grands maux de l’existence). Les réponses à cette question sont nombreuses, et disparates. A la mesure de l’étendue d’un marché commercial gigantesque. On se voit proposer ainsi un extrait de graine exotique, une fraction minérale rare, un suc végétal aux vertus inouïes, un médicament « innovant » (ce dernier terme est magique, l’effet l’est souvent beaucoup moins). Toutes ces propositions empreintes d’une apparente prévenance sont le plus souvent entachées de conflits d’intérêt évidents. Car il y a toujours quelque chose à vendre.

La vérité est difficile à dégager dans ce domaine, notamment parce qu’au sein d’une même espèce nous avons nos différences. Comment s’y retrouver ? Que manger, que boire, quel supplément végétal, quel complément de vitamine peut accroître nos chances de vivre en bonne santé physique et mentale, le plus longtemps possible ?

Une réponse se trouve en changeant de paradigme. Plutôt que de chercher la substance magique, l’élixir de jouvence qui nous assurera force, dynamisme et santé, plutôt que d’ajouter quelque chose à notre panoplie alimentaire ou cosmétique, il s’avère bien plus intéressant de retirer, de soustraire, de réduire, de penser « moins » au lieu de « plus ». De réduire nos apports alimentaires. Complètement. Temporairement. En un mot : de jeûner.

L’expérience nous a enseigné que la meilleure manière de rester en bonne santé est de ne pas nous « abîmer » par notre mode de vie. L’abus de nourriture, de sucres, de mauvaises graisses est délétère. La consommation d’alcool ou de tabac est nocive, il ne viendrait à personne l’idée de le contester.

Toute activité du vivant nécessite des phases de repos : pourquoi notre système digestif –et plus généralement notre organisme– échapperait-il à cette règle ? L’attention de la plupart d’entre nous a été attirée sur la composition de notre alimentation par des scandales industriels. La qualité de ce que nous mangeons devient progressivement le principal critère de choix. Allons au-delà, et observons le comportement de la plupart des mammifères pour comprendre les avantages de ne pas manger, de manière choisie, naturelle, et bien sûr pendant une période limitée.

Le jeûne représente un traitement d’une belle simplicité, qu’un nombre croissant d’études scientifiques valide par des résultats incontestables. Voilà qui devrait dans les prochaines années susciter un intérêt grandissant de la part du monde médical, et bien entendu des patients.

 

Que se passe-t-il lorsque nous cessons de nous alimenter ?

Notre organisme connaît parfaitement la démarche d’adaptation qu’il lui faut suivre. Depuis des millions d’années c’est inscrit dans notre patrimoine génétique. Tout se met en place naturellement, selon une procédure désormais bien connue :

  • Pendant les premières trente heures[1], le corps humain fonctionne sur des réserves immédiatement disponibles, en puisant dans les stocks musculaires et hépatiques de glycogène. La fabrication de glucose est assurée par la glycogenèse, c’est du reste ce qui nous permet habituellement d’avoir une activité physique sans devoir nous alimenter en permanence.
  • Au-delà de ce délai, les réserves de glycogène étant épuisées, une double bascule métabolique se met progressivement en place. D’une part la néoglucogenèse qui va produire du sucre à partir des protéines, et d’autre part la lipolyse, dégradation des graisses qui constituent nos réserves à plus long terme. Celles que nous n’utilisons jamais, puisque pour la plupart d’entre nous l’alimentation est répétée deux à trois fois par jour depuis la naissance.
  • Ensuite, très rapidement (le plus souvent en l’espace d’une douzaine d’heures), l’organisme humain va donner la priorité à l’utilisation des graisses. En effet la consommation de protéines se fait essentiellement aux dépends de la masse musculaire, or le cœur est un muscle. En transformant les graisses corporelles en corps cétoniques, le métabolisme exploite naturellement une source d’énergie qui devient rapidement prépondérante tant qu’aucun apport énergétique extérieur ne survient. L’étude de ce mécanisme, l’autophagie, a valu le Prix Nobel de Médecine en 2016 au chercheur japonais Yoshinori Ohsumi[2]. Des mesures précises de cette adaptation à l’absence d’apport alimentaire confirment qu’il existe des variations selon les espèces, mais qu’elle se produit toujours, selon une progression relativement standardisée.

 

Combien de temps peut se poursuivre un jeûne ?

L’autonomie habituelle d’un être humain en bonne santé, sans surpoids, est de l’ordre de trente jours. Davantage chez les sujets qui ont une masse grasse importante. Au-delà de ce délai qui ne dépasse pas six semaines sans alimentation solide, les études montrent que la néoglucogenèse va reprendre de l’importance, suscitant une alerte métabolique maximale qui va contraindre la reprise alimentaire, faute de quoi l’épuisement et la mort peuvent survenir. L’être humain est loin d’atteindre dans ce domaine les performances du manchot (Aptenodytes patagonicus) qui peut jeûner dans l’Antarctique pendant plus d’une centaine de jours, ce qu’a particulièrement étudié Yvon Le Maho[3], directeur de recherche au CNRS à l’Université de Strasbourg.

 

Quels bénéfices attendre d’un jeûne ?

La science peut nous apporter des points de repère, notamment au plan médical. Sans ignorer que les « études scientifiques » peuvent aussi être grevées par des intérêts commerciaux, de plus en plus d’équipes médicales s’intéressent aux bienfaits du traitement le plus simple qui soit. Le jeûne thérapeutique, pratiqué et même prescrit par des médecins dans certains pays depuis plus d’un siècle, réévalué en permanence par des équipes scientifiques internationales, permet de soigner des maladies aussi différentes que l’hypertension artérielle, l’asthme, le diabète, les affections démyélinisantes[4] ou des maladies inflammatoires chroniques, digestives et articulaires. Des travaux universitaires comme ceux de Valter Longo ont indiqué de façon indiscutable, sur des modèles animaux, que la restriction alimentaire apportait un réel bénéfice pour la longévité en bonne santé, et même dans l’accompagnement de certains traitements anti-cancéreux.

De plus en plus de patients, soutenus par leurs médecins, ont découvert la rémission de maladies réputées incurables grâce au jeûne.

Tous ces résultats ouvrent la voie de l’utilisation du jeûne, sous surveillance médicale, pour traiter des maladies déclarées. En Allemagne, c’est déjà le cas dans plusieurs cliniques et hôpitaux qui reçoivent des milliers de patients chaque année, et où les recherches se poursuivent.

Concrètement, le jeûne s’exerce donc de manière choisie, librement, et de préférence accompagné par une équipe qui en connaît bien le déroulement. On ne jeûne pas seul, du moins pas pour commencer. Cette pratique se prépare, avec une descente alimentaire. Il est souhaitable de pratiquer une activité physique régulière, calme et prolongée, pendant le jeûne. Il existe plusieurs façons de jeûner : en continu pendant une ou deux semaines par an (oui, sans rien manger de solide), sur le mode hydrique (on ne boit que de l’eau), ou plus confortable selon la méthode du Dr Buchinger (avec jus de fruits frais et bouillon de légumes), sur le mode intermittent (un ou deux jours par mois, ou par semaine, ou encore seulement deux repas par jour). Chacun s’essaiera à ce qui lui convient le mieux.

Des obstacles petits et grands

On s’attendra sans surprise à nombre de résistances à l’idée de jeûner.

  • Psychologiques tout d’abord. La plupart de nos aïeux ont souffert de la faim dans des périodes éprouvantes de leur vie où se nourrir était difficile. Nos parents nous ont transmis avec la plus grande bienveillance leur souci que nous soyons bien, et régulièrement, nourris. Il y a pourtant une différence fondamentale entre être privé de nourriture et choisir de ne pas en absorber pendant un temps déterminé. Faire l’expérience du jeûne commence par une décision personnelle, avec la liberté de l’interrompre quand on le souhaite. Cette liberté peut nous aider à surmonter nos réticences.
  • Économiques ensuite, et ce n’est pas le moindre obstacle. Non pas que le jeûne représente un coût, mais plutôt qu’il est considéré comme un manque à gagner pour des secteurs influents de notre économie : toute l’industrie agro-alimentaire, des agriculteurs à la grande distribution en passant par les métiers de bouche et leurs sous-traitants. On peut prévoir que si la pratique du jeûne intéresse un nombre significatif de nos contemporains, les lobbies vont se déchaîner pour en exagérer les dangers. N’oublions pas un autre secteur, plus puissant encore, qui va voir ses bénéfices diminuer : l’industrie pharmaceutique. Se soigner, ou simplement améliorer sa santé sans médicament, ne peut pas être vu d’un bon œil par ce secteur dominant. Faisons confiance à l’énorme pouvoir financier des laboratoires pharmaceutiques pour qu’une communication adroite mette en garde les populations contre cette pratique. On sait d’expérience que tous les moyens peuvent être employés pour inquiéter le bon peuple, y compris au travers des nombreux médecins qui sont –en toute bonne foi- sous influence dès leur formation.
  • Médicaux enfin : l’histoire nous a montré à maintes reprises la résistance que montre le corps médical pour accepter des idées nouvelles. Surtout si elles ne viennent pas du sérail. On a déjà lu dans la presse médicale un professeur de nutrition affirmer, au mépris des données d’observation, que l’être humain avait « besoin de manger trois fois par jour ». Admettons qu’on ne dispose pas d’essais cliniques randomisés en double aveugle versus placebo (et comment le pourrait-on dans le cas d’une pratique qui nécessite d’être acceptée ?) pour affirmer les bienfaits du jeûne. Il existe toutefois nombre de travaux universitaires, aux États-Unis[5], en Grande Bretagne et en Allemagne, qui établissent son intérêt. Et les évaluations se poursuivent chez l’être humain, les études sur des modèles animaux ayant déjà confirmé des bénéfices certains. Ce sont sans doute les patients qui montreront la voie aux plus réticents de leurs médecins.

 

Depuis de nombreuses années déjà, les expériences des responsables de centres de jeûne[6] en France sont convergentes : celles et ceux qui ont testé les bénéfices d’un jeûne accompagné d’exercice physique en retirent un tel bénéfice qu’ils ou elles renouvellent cette expérience enrichissante. Et parlent du plaisir qu’ils ont éprouvé à jeûner, du réel bien-être qui est ressenti au travers de ce qui n’est pas une épreuve, mais une pause reposante et énergétique.

En tant que médecin, c’est tout le bien que l’on peut souhaiter à nos patients…

 

Pour en savoir plus, on peut lire :
Dr Françoise WILHELMI DE TOLEDO, L’art de jeûner, Jouvence Ed., 2015
Dr Jason FUNG, Le Guide complet du jeûne, Thierry Souccar Ed., 2017
Dr Lionel COUDRON, Le guide pratique du jeûne, Terre Vivante Ed., 2017

Sources et renvois
[1] Ce délai peut varier entre 24 et 36 heures, notamment selon la masse musculaire.
[2] https://www.larecherche.fr/search/node/Yoshinori Ohsumi
[3] Lignot J.-H., Le Maho Y., (2012), A History of Modern Research into Fasting, Starvation, and Inanition in  Comparative Physiology of Fasting, Starvation and Food Limitation, McCue Marshall D., Ed.1 Berlin-Heidelberg Springer
[4] Choi, I.Y., et al., A Diet Mimicking Fasting Promotes Regeneration and Reduces Autoimmunity and Multiple Sclerosis Symptoms. Cell Rep, 2016. 15(10) : p. 2136-2146.
[5]  Valter D. Longo, Mark P. Mattson, Fasting : Molecular Mechanisms and Clinical Applications, Cell Metabolism, Vol.19, Issue 2, 4 Feb 2014, pp 181-192
[6] Notamment ceux de la Fédération Francophone Jeûne et Randonnée (FFJR), une structure qui garantit la formation et le sérieux des accompagnateurs, et l’indépendance vis à vis de toute obédience mystique ou religieuse. www.ffjr.com

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